Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) représente 60 000 travailleurs et travailleuses, dont un certain nombre effectue de la livraison dans le secteur privé. Nous défendons les intérêts des travailleurs et travailleuses depuis 1965. Nous nous sommes battus avec force pour l'obtention d'un traitement équitable de nos membres. Récemment, après une lutte de vingt ans, nous avons obtenu gain de cause dans le dossier de l'équité salariale des factrices et facteurs ruraux et suburbains (FFRS). Avant d'adhérer au STTP, ces travailleuses et travailleurs étaient considérés, à tort, comme des entrepreneurs indépendants.
Le STTP est ravi de remettre le présent mémoire au Comité consultatif ontarien de la relance du marché du travail. Le mémoire a pour but de renseigner le Comité sur la meilleure façon de soutenir les travailleurs et travailleuses des plateformes numériques afin qu'ils bénéficient, eux aussi, des normes en matière de travail de l'Ontario, et d'une sécurité accrue en tant que travailleuses et travailleurs pourvoyeurs de services essentiels à la population.
Pour assurer sa vigueur économique, l'Ontario doit mettre à jour sa politique du travail et accorder aux travailleurs et travailleuses des plateformes numériques les droits qu'elle confère. Le STTP lutte pour la défense des droits de ces travailleuses et travailleurs et d'autres secteurs précaires de l'économie. Nous sommes bien placés pour défendre la nécessité d'apporter des changements aux lois et aux pratiques pour que ces travailleurs et travailleuses tirent parti d'un salaire et de conditions équitables. Dans la foulée de la pandémie de COVID-19, le moment est venu de rendre justice aux travailleurs et travailleuses de première ligne qu'on qualifie de « héros », mais qui, dans les faits, ne profitent d'aucune des protections de base associées à un emploi régulier, ni des avantages sociaux qui en découlent, et qui ne bénéficient pas non plus des pratiques de travail équitables.
Aux États-Unis, en Espagne, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, et dans bien d'autres pays, les tribunaux ont déclaré que les travailleuses et travailleurs des plateformes numériques ne sont pas des entrepreneurs indépendants et que les droits associés au statut d'employé doivent leur être reconnus. En Ontario, de récentes décisions des tribunaux vont dans le même sens. Et tout récemment, la Commission des relations de travail de l'Ontario (CRTO) a rendu une décision favorable aux travailleurs et travailleuses des plateformes numériques. Cette décision allait à l'encontre de la position défendue par la société de livraison de commandes de restaurant sur plateformes numériques Foodora selon laquelle ces travailleurs et travailleuses étaient des entrepreneurs indépendants. Par sa décision, la CRTO a reconnu aux travailleurs et travailleuses de Foodora le droit à la syndicalisation (Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Foodora 2020).
Notre proposition porte sur trois éléments à la fois distincts et interreliés que nous estimons essentiels aux pratiques de travail équitables. Ces trois éléments sont les suivants : refus d'une troisième catégorie de travailleurs et travailleuses; adoption d'une nouvelle définition des termes employé et entrepreneur indépendant dans la Loi sur les normes d'emploi et déplacement du fardeau de la preuve pour qu'il incombe aux employeurs; accès à des pratiques équitables en matière de travail.
La récente proposition de la société Uber Canada (Flexible Work +) est le tout dernier exemple en date d'une entreprise sur plateforme numérique qui tente de créer une sous-catégorie d'emplois. Par sa proposition, Uber Canada tente d'enchâsser dans la loi son modèle d'exploitation, modèle qui lui permet de se soustraire aux responsabilités qui incombent aux employeurs. Cette proposition tente de créer, pour les employeurs sur plateformes numériques, un modèle d'emploi peu coûteux pour les employeurs, mais accordant peu de droits aux travailleuses et travailleurs, déjà frappés de précarité. Par ailleurs, la proposition incite les employeurs d'autres secteurs d'activité à adopter un modèle sur plateforme numérique pour réduire les coûts, ce qui contribue encore davantage à l'érosion des normes de travail obtenues de hautes luttes et destinées à protéger les travailleurs et travailleuses contre des pratiques de travail injustes, dont, entre autres, l'absence d'avantages universels comme les congés de maladie, les congés annuels, le congé parental, les protections en matière de santé et de sécurité et la participation au régime d'assurance-emploi et au Régime de pensions du Canada. Nous enjoignons au Comité de rejeter une troisième catégorie de travailleurs et travailleuses, et lui recommandons plutôt de reconnaître le statut d'employé aux travailleuses et travailleurs sur plateformes numériques aux termes de la Loi sur les normes d'emploi, statut grâce auquel ils bénéficieront des mêmes droits et des mêmes protections que les autres travailleurs et travailleuses de l'Ontario.
La meilleure façon de garantir aux travailleurs et travailleuses sur plateformes numériques l'accès à un salaire viable, partout en Ontario, consiste à mettre fin à la classification erronée de ces travailleurs et travailleuses. Pour ce faire, le STTP demande au gouvernement de l'Ontario de prendre les mesures suivantes : adopter une nouvelle définition du terme employé et définir le terme entrepreneur indépendant dans la Loi sur les normes d'emploi; faire du statut d'employé le statut par défaut pour l'ensemble des travailleuses et travailleurs visés par cette loi; adopter un critère multifactoriel pour obliger les employeurs de prouver qu'une travailleuse ou un travailleur n'a pas le statut d'employé mais bien celui d'entrepreneur indépendant. À cet égard, nous reprenons certains éléments de la loi 5 de l'Assemblée de la Californie (AB5).
La définition du terme employé dans la loi doit viser toute personne qui accomplit un travail ou qui fournit un service en échange d’une rémunération, et elle doit aussi présumer du statut d’employé, sauf si la partie qui embauche la personne arrive à prouver que celle-ci ne correspond pas aux critères énoncés ci-après.
Une définition claire du terme entrepreneur indépendant tient compte des quatre critères cumulatifs suivants :
En plus des deux définitions indiquées plus haut, il doit y avoir une disposition légale qui empêche une classification erronée du travailleur ou de la travailleuse causée par le refus de lui accorder le statut d’employé. À l’aide des quatre critères énoncés plus haut, le fardeau de la preuve doit reposer sur l’employeur, celui-ci devant prouver que la travailleuse ou le travailleur n’a pas le statut d’employé.
Nous savons que cette classification erronée est la pierre angulaire du travail sur plateformes numériques. Nous savons que les entreprises se soustraient à leurs responsabilités de base envers leurs employées et employés, et nous dénonçons cette pratique. Remédier à cette situation permettrait aux travailleurs et travailleuses sur plateformes numériques de bénéficier des protections de base réservées aux travailleurs et travailleuses et découragerait la précarisation d'autres secteurs d'activité où les employeurs tentent de se soustraire à leurs responsabilités envers les travailleurs et travailleuses.
Les définitions et les critères énoncés plus haut constituent les outils les plus simples, les plus clairs et les plus pratiques pour établir s'il s'agit ou non d'une relation d'emploi. L'utilisation de ces critères est par ailleurs bien établie par la jurisprudence. Récemment, dans l'affaire opposant le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes et la société Foodora (Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Foodora 2020), la Commission des relations de travail de l'Ontario a mené une évaluation multifactorielle pour établir le statut d'emploi de livreurs et livreuses de commandes de restaurant. L'évaluation a révélé leur statut d'entrepreneur dépendant, donc leur statut d'employé. Toutefois, dans ce cas, il incombait aux travailleurs et travailleuses de prouver leur statut d'employé. Cette obligation doit absolument incomber aux employeurs, qui, dans une relation d'emploi, détiennent la plus grande partie du pouvoir.
La situation étant ce qu'elle est, les travailleurs et travailleuses des plateformes numériques sont injustement, et, à notre avis, illégalement soustraits de l'application de la définition d'employé. Cette pratique discriminatoire les met presque dans l'impossibilité de gagner un salaire viable. Le STTP insiste auprès du Comité pour qu'il se penche sur un certain nombre de points dans ce dossier.
Les employeurs sur plateformes numériques vantent depuis longtemps les mérites de leur modèle d'emploi, affirmant que les travailleurs et travailleuses bénéficient d'une flexibilité accrue dans l'exécution de leurs tâches. En réalité, c'est plutôt l'inverse qui se produit : ce sont les employeurs qui bénéficient de la flexibilité. Les heures de travail et les gains sont à la merci des fluctuations de la demande des clients, combinées aux algorithmes, qui sont totalement en dehors du contrôle des travailleurs et travailleuses. S'ils ne suivent pas ces règles, les travailleurs et travailleuses arrivent à peine à gagner le salaire minimum, et encore moins un salaire suffisant pour vivre. S'ajoute à cela la croissance ininterrompue du bassin de main-d’œuvre, ce qui réduit sans arrêt le montant de la paie. La promesse d'une supposée flexibilité en échange d'un salaire juste, de la transparence, de la sécurité d'emploi et de mesures de protection en matière de santé et de sécurité s'apparente, ni plus ni moins, à de la prédation de la part des employeurs sur plateformes numériques.
Pour ces travailleurs et travailleuses, et pour l'ensemble de la main-d'œuvre, il est essentiel de bénéficier des protections et des droits du travail, notamment le droit de se mobiliser, le droit de se syndiquer et le droit de négocier ses conditions de travail. Sur la question du droit à la syndicalisation, il importe de noter le caractère inadéquat du statut d'entrepreneur dépendant contenu dans la Loi sur les relations de travail de l'Ontario. Vu l'absence de définition dans la Loi sur les normes d'emploi, les employeurs ont le droit d'offrir des conditions moindres que les conditions minimales énoncées dans la loi. Cette situation est inacceptable. Toute démarche de négociation collective doit, à tout le moins, prendre appui sur les normes minimales imposées par la loi.
Le STTP défend les travailleuses et travailleurs des plateformes numériques pour qu'ils aient les mêmes droits que ceux accordés aux travailleurs et travailleuses ayant le statut d'employé. Ils doivent recevoir un salaire qui correspond au travail accompli, bénéficier de protections en matière de santé et de sécurité, avoir droit au congé de maladie, au congé parental et aux protections en cas de mesure disciplinaire et de congédiement injustes, et en cas de harcèlement. De plus, ces travailleurs et travailleuses doivent être admissibles aux prestations du régime d'assurance-emploi et à celles du Régime de pensions du Canada, deux régimes d'avantages auxquels l'employeur est tenu de cotiser. Nous le répétons : la façon la plus simple et la plus efficace de garantir aux travailleurs et travailleuses sur plateformes numériques l'accès à l'ensemble des avantages dont bénéficient les travailleurs et travailleuses ayant le statut d'employé consiste à mettre fin à leur classification erronée par la mise en œuvre des mesures décrites dans la partie intitulée « Nouvelles définitions et déplacement du fardeau de la preuve », plus haut dans le présent document.
Nous demandons au Comité consultatif ontarien de la relance du marché du travail de veiller à ce que les travailleurs et travailleuses sur plateformes numériques ne soient pas relégués dans une catégorie de travailleurs et travailleuses de seconde zone, à peine en mesure de joindre les deux bouts. Les confinements et les restrictions de la pandémie ont prouvé que ces travailleurs et travailleuses avaient fourni un service essentiel à la population de l'Ontario, et ce, au risque de tomber malades sans pouvoir compter sur le filet de sécurité que procure le congé de maladie. Il est grand temps que ces travailleuses et travailleurs soient traités avec équité, c'est-à-dire qu'ils bénéficient des mêmes protections que les autres travailleurs et travailleuses.
La classification erronée et systématique des travailleurs et travailleuses sur plateformes numériques représente, pour les employeurs, le principal moyen de réaliser des profits. Tout modèle d'affaires qui prend appui sur le mauvais traitement des travailleurs et travailleuses ne doit pas être le bienvenu au Canada. Il faut imposer des limites : les normes minimales en matière de travail et la santé des travailleurs et travailleuses les plus vulnérables ne doivent pas être sacrifiées pour répondre aux supposées exigences de la clientèle ou accroître encore davantage la part de profit des employeurs sur plateformes numériques. Les travailleurs et travailleuses ne peuvent pas fournir ces services en échange d'un salaire de misère et d'une absence de droits en matière de travail.
Bibliographie
California. CA AB5 | 2019-2020 | Regular Session. (18 septembre 2019). LegiScan.
Document obtenu le 29 juillet 2021 du site Web https://legiscan.com/CA/bill/AB5/2019.
Ontario (2000). Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario, 2000, SO 2000 c 41.
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) (30 avril 2021). « Mémoire présenté à Emploi et Développement social Canada (EDSC) dans le cadre de la consultation sur les nouvelles réalités des travailleurs canadiens ». Ottawa. Document non publié.
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Foodora Inc., (2020), CanLII 16750, CRTO cas no : 1346-19-R.